Les industries de l’édition, du cinéma et de la musique ont détourné la réforme du droit d’auteurTweet this!

L’Union européenne prépare enfin son nouveau texte sur le droit d’auteur et les droits voisins.
C’est une chance historique de réformer des lois obsolètes, de les adapter aux nouvelles réalités et aux opportunités de la révolution numérique. Mais un document de travail qui vient de fuiter annonce tout autre chose.

Au lieu de réformer l’obsolète, le commissaire Oettinger a préféré laisser les industries de l’édition, du cinéma et de la musique détourner la réforme de son but véritable pour préserver du progrès des business-models dépassés — malgré un coût tragique pour la liberté d’expression et la créativité sur internet, le droit d’innover des startups et le combat pour une Europe sans frontières numériques.

Parmi les différentes mesures que la Commission envisage dans le document fuité, elle prévoit systématiquement de mettre en œuvre celles qui placent les intérêts des entreprises au-dessus de ceux des créateurs, des startups et des utilisateurs. Cela dénote un mépris total à l’égard des innombrables contributions au débat apportées au cours des dernières années par le public, les chercheurs, les défenseurs des droits numériques, le Parlement européen, la précédente Commissaire au numérique et bien d’autres encore.

Joignez-vous à moi pour dire clairement à Günther Oettinger : Si ce sont effectivement les plans que vous comptez présenter le 21 septembre, cette réforme est morte étouffée dans l’œuf. Ces propositions ne convaincront pas les Européens que la commission européenne est du côté de la population — un jeu dangereux à l’heure où l’euroscepticisme atteint des niveaux records. Les Européens se sont unis pour contrer la dernière et dangereuse offensive des industries du droit d’auteur : le traité ACTA. Ils pourraient très bien s’unir à nouveau. Je vous demande instamment de reconsidérer votre position.

Voici les pires points du projet :

1. Handicaper l’internet au bénéfice des industries de l’édition

Vous avez entendu parler de la « taxe sur les hyperliens » : il s’agit plus précisément d’un nouveau droit d’auteur sur les articles de presse, qui porterait sur le moindre extrait — y compris ceux qui accompagnent parfois les liens. En Allemagne et en Espagne, les éditeurs de presse ont convaincu les politiques d’introduire une telle disposition pour tenter de forcer Google Actualités à payer pour le seul privilège d’envoyer du trafic vers leurs sites. Les lois se sont retournées contre ceux qui les avaient encouragées sans qu’un seul centime supplémentaire soit reversé aux éditeurs (sans parler des journalistes). Par contre, la remise en question de la liberté de faire des liens a simplement conduit à réduire le choix des lecteurs et à décourager les startups de concurrencer Google et de travailler à créer des moyens innovants de tenir les gens informés.

Tout le monde, sauf peut-être une poignée d’éditeurs de presse, s’accorde à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’une idée stupide. Voyez plutôt :

liste incomplète :

  1. Le Parlement européen a refusé de recommander l’idée
  2. Le Parlement européen a directement mis en garde contre celle-ci
  3. 83 députés européens ont exhorté la Commission à abandonner ces plans
  4. Une coalition d’éditeurs, incluant l’Association des Éditeurs de Périodiques espagnole (représentant 900 titres) et l’Association Nationale de la Publication en ligne italienne (150 journaux en ligne) ont mis en garde que de tels plans « font du mal à l’économie numérique » et « également aux éditeurs »
  5. La plus grande alliance européenne de startups internet Allied4Startups a mis en garde contre un impact négatif sur les startups, la recherche, l’éducation et l’innovation
  6. Des juristes ont exhorté à la Commission de « dire non »
  7. Des milliers d’Européens ont rejeté l’idée lors d’une consultation publique de la Commission
  8. Près de 100.000 internautes soutiennent la pétition SaveTheLink s’y opposant
  9. L’initiative allemande contre une loi sur un droit voisin, IGEL, soutenue par 130 organisations, affirme que l’idée « fait obstruction à l’innovation et à la liberté d’information et de communication »
  10. L’organisation pour la protection des droits numériques EFF, a qualifié ce projet de « taxe arbitraire sur les plateformes internet » et de « discrimination envers les concurrents [des éditeurs de presse] »
  11. L’association allemande des journalistes DJV a dit à propos de la loi allemande « nous n’avons pas besoin d’une loi [comme celle-ci] qui ne bénéficie à personne »
  12. L’association allemande des industries d’internet ECO constate que la loi allemande « n’a produit que des perdants » et que l’introduire au niveau européen « créera des problèmes colossaux »
  13. Dans un récent débat, des éditeurs de sites d’informations en ligne en Allemagne et en Espagne ont qualifié leurs lois d’« un moyen d’extorquer un peu d’argent à Google » et de « complètement inutiles pour les lecteurs [et] les éditeurs » ; et ont plaidé contre leur extension à toute l’Union européenne.

À toutes ces inquiétudes, le commissaire Oettinger a fait la sourde oreille. Il a même clairement déclaré qu’ il ne serait pas question avec cette nouvelle loi de corriger des injustices. Son but est plutôt de simplement servir les intérêts des grands acteurs de l’industrie des éditeurs de presse européens.

Pire encore, Oettinger n’essaie pas seulement de disséminer une fausse idée à travers l’ensemble de l’Union européenne — il propose d’étendre son champ d’application encore plus loin : ce nouveau droit d’auteur n’obligerait pas seulement les agrégateurs d’articles de presse à payer pour montrer des extraits tirés de sites d’informations, mais aussi n’importe quel autre service en contact avec des articles de presse en ligne tels que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. L’Allemagne a décidé qu’un tel droit d’auteur sur le contenu des articles de presse (qui perdent leur valeur commerciale en quelques jours seulement) devrait ne durer qu’une année — mais Oettinger prévoit désormais d’étendre ce droit à dix années, et considère même la possibilité de l’allonger jusqu’à cinquante ans !

Comment cela vous affectera-t-il ?

    • La façon dont vous trouvez, lisez et partagez des articles aujourd’hui pourrait être remise en question : les agrégateurs tels que Google Actualités ou Rivva, les applications qui combinent plusieurs sources comme Flipboard ou Apple News, les vues optimisées « lecteur » dans les navigateurs, services de « lecture différée » et bloqueurs de publicité, le partage de liens sur les réseaux sociaux — tout ceci et beaucoup d’autres choses, nécessiteraient de passer un accord de licence coûteux avec les éditeurs. Votre utilisation de ces services pourrait devenir légalement douteux et/ou ces services ne plus être accessibles ou plus chers.
    • Moins d’innovation dans les technologies de diffusion des actualités lorsque les coûts des licences et les risques découragent les startups européennes et le développement de nouvelles façons de tenir les personnes informées.
    • Moins de diversité dans le journalisme si les éditeurs moins connus ne peuvent plus compter sur des agrégateurs pour toucher de nouvelles audiences et entrer en concurrence avec les gros acteurs du secteur.
    • Les auteurs pourraient toucher moins d’argent si le projet de loi donne aux éditeurs droit à une part des redevances de droit d’auteur sans augmenter les prix pour les consommateurs, comme le prévoit l’évaluation d’impact.

Le ridicule ne tuant personne, la Commission européenne soutient dans son évaluation d’impact que ses plans auront un impact positif sur la liberté d’expression et le droit à l’information en rendant « l’industrie de l’information plus solide ». En réalité, c’est tout le contraire : en rendant ceci coûteux et légalement complexe, le texte va directement porter préjudice au droit à l’information de millions de personnes lorsqu’elles partagent des liens, agrègent, et affichent les actualités sur le web.

* * *

2. Tuer les startups européennes au bénéfice de l’industrie musicale

Les industriels de la musique considèrent qu’ils ne reçoivent pas assez d’argent de YouTube. Or, comme les malheureux n’arrivent pas à trouver de loi que YouTube aurait enfreint, ils leur faut en inventer d’autres.

Les prestataires de services comme YouTube ont actuellement l’obligation d’agir quand leur est notifiée une infraction au droit d’auteur ou des droits voisins. Oettinger cherche à renverser ce principe et à forcer légalement les prestataires à négocier de façon proactive avec l’industrie musicale pour qu’ils acquièrent les licences (ou négocient d’autres accords) sur tout ce que leurs utilisateurs mettent en ligne, ainsi qu’à construire des systèmes qui surveillent de façon préventive et continue les mises en ligne et les analyse à la recherche de contenus sous droit d’auteur.

Ici, l’industrie musicale n’a pas véritablement obtenu ce qu’elle voulait : à l’origine, ils demandaient que YouTube soit tenu directement responsable de tout ce que ses millions d’utilisateurs mettent en ligne. Cela aurait donné à l’industrie une excellente position de négociation pour demander plus d’argent — mais la Commission a rejeté cette idée.

Cela nous laisse avec une grande ironie : YouTube, la cible de ces actions, a déjà mis en œuvre ces idées de son plein gré, et ce depuis des années. La réponse de la Commission aux plaintes au sujet de YouTube est donc… de forcer tous les prestataires de services à agir comme YouTube. À qui cela est-il censé bénéficier, on se le demande. Mais les dangers sont clairs :

  • Ce texte devrait avoir des effets dévastateurs sur les startups européennes. Prenez le site de musique SoundCloud, basé en Union européenne, aimé par beaucoup de jeunes artistes qui tentent d’être repérés : s’il avait dû se conformer à ces obligations onéreuses lors son lancement, il aurait probablement perdu face à un compétiteur hors de l’UE qui n’aurait pas eu l’obligation de s’y conformer.
  • En outre, le RoboCop du droit d’auteur de YouTube est rempli de bugs. ContentID supprime régulièrement des vidéos de fan (comme les enregistrement d’événements, des lip dubs, des commentaires, des films maison, etc.) qui contiennent des petits morceaux de contenus sous droit d’auteur, quand bien même ce genre d’usage serait couvert par les exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins. Il est tout simplement très difficile de faire comprendre à un robot la complexité de la loi sur les droits d’auteur. Une fois en application, cette nouvelle loi pourrait encore plus affaiblir les droits déjà restreints du public — en particulier ceux des créateurs — de réutiliser, commenter et citer des ouvrages existants.
  • La nécessité même des analyses de YouTube à fin de trouver de contenus sous droit d’auteur n’est pas claire, sachant que la musique ne compte que pour 4 % du temps passé à regarder des vidéos sur YouTube, et que 75 % de ces vues sont des vidéos musicales volontairement mises à disposition par les labels et les artistes à des fins promotionnelles, et non par de diaboliques pirates. Est-ce que ce dernier pour cent vaut vraiment que ces entreprises négocient avec les labels, qu’elles développent une technologie chère et complexe et qu’elles surveillent tous leurs usagers ?
Oettinger pense qu’il a besoin de prescrire par la loi le standard YouTube à des startups qui ne pourront pas se conformer et va par conséquent tuer la concurrence et l’innovation des entreprises numériques de l’Union européenne et n’obtenir en contrepartie strictement aucun avantage pour lindustrie musicale.

Comment cela vous affectera-t-il ?

  • Moins de créativité construite sur la base d’œuvres existantes, alors que des robots sans intelligence appliquant des accords de distribution remplacent des juges appliquant le droit d’auteur
  • Moins d’innovation et moins de startups, laissant l’Union européenne encore plus à la traîne du commerce en ligne
  • Une dominance encore renforcée du marché par YouTube, qui respecte déjà la loi avant même que celle-ci soit en application

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3. Maintenir les frontières en ligne pour l’industrie du cinéma

endgeoblocking-stamp-red2L’Union européenne est censée être une Union avec un marché unique. Pourtant des frontières numériques restent très répandues aujourd’hui : Des messages comme « Ce contenu n’est pas disponible dans votre pays » empêchent chaque jour des millions d’européens d’acheter de la vidéo à la demande ou de regarder des vidéos. Des frontières numériques séparent des communautés linguistiques le long des frontières nationales et privent les minorités culturelles, migrants, voyageurs et ceux qui apprennent des langues d’accéder à la culture. D’autre part, elles privent les artistes et les startups européennes d’une large audience et d’une base de consommateurs. Les enquêtes et consultations de la Commission européenne ont prouvé que les européens encouragent massivement une action à ce sujet.

Mais là encore, une industrie a saboté tout progrès véritable en évitant de s’adapter aux mutations actuelles et de matérialiser de nouvelles opportunités

Suivant les instructions de l’industrie du cinéma, Oettinger a abandonné le projet d’abolir le géoblocage. Il refuse de proposer une action qui réduirait de manière significative le géoblocage du jour au lendemain : À savoir arrêter de forcer les services de vidéo à rejeter les clients qui se trouvent dans le « mauvais » pays de l’Union. Les contrats de l’industrie continueront d’obliger les services à discriminer les européens entre eux et à repousser des clients payants — limitant artificiellement le public des services de vidéo à la demande, des films européens, et cimentant la domination de Netflix.

Cela signifie qu’il a gagné le débat interne contre le vice-président de la Commission européenne Andrus Ansip, qui a très clairement exprimé à quel point il « détestait le géoblocage », et que « l’abolir est une nécessité ». Oettinger a vidé de leur sens les annonces de son collègue.

Tandis que le géoblocage des services de vidéos à la demande et des sites de partage de vidéos restera le même, au moins les chaînes de télévision ne seront plus obligées de géobloquer leurs « replays » — même si en pratique elles pourront continuer de le faire si elles le souhaitent.

Comment cela vous affectera-t-il ?

  • La discrimination perdure – Les minorités linguistiques, les migrants de longue durée, les étudiants en Erasmus, etc. — 1 Européen sur 10 — se verra encore dénier le droit d’accéder à sa culture en ligne.
  • Les artistes se voient refuser un public — De nombreuses créations artistiques continueront de ne pas rencontrer un public élargi à l’Europe entière — et les fans prêts à payer se verront encore rejetés.
  • Des publics tenus à l’écart – Les personnes apprenant de nouvelles langues, les supporters sportifs étrangers etc. continueront à payer des VPN (réseau privé virtuel) plutôt que les créateurs, ou se reporteront sur des sources illégales.
  • Un impact économique fort — La demande de contenus transfrontaliers, d’une valeur estimée pouvant atteindre 1,6 milliard d’Euros, continuera d’être refusée aux services de VoD (vidéo à la demande) de l’Union, aux startups européennes et aux artistes.

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La réforme du droit d’auteur et des droits voisins comporte néanmoins quelques bonnes idées, en nombre limité. Des exceptions au droit d’auteur seront harmonisées ou rendues obligatoires au sein de l’Union européenne, même si aucune ne bénéficiera directement aux créateurs ou aux usagers. Les institutions pédagogiques en ligne et transfrontalières pourront utiliser du matériel sous droits à des fins d’illustration pour l’enseignement, les musées et les archives pourront numériser et bâtir des collections à partir d’œuvres considérées comme non-commercialisées (s’ils s’acquittent de licences collectives), et les instituts de recherche publiques pourront procéder à des opérations de fouilles de données et de textes.

Mais la liste des omissions flagrantes est bien plus longue : il n’aura aucun standard minimum pour les exceptions au sein de l’UE, pas d’exception de remix, aucun droit pour les bibliothèques de prêter des livres numériques et aucune protection des œuvres dans le domaine public quand elles sont numérisées. Les verrous numériques (DRM) continueront de restreindre les utilisations légales des œuvres et de porter préjudice à l’interopérabilité.
M. Oettinger ne s’est même pas vu capable de convenir que la liberté de panorama — le droit de prendre et d’utiliser des photos d’un lieu public — devait s’appliquer dans toute l’Europe.

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Ceci n’est pas un droit d’auteur conçu pour l’ère numérique. C’est un droit d’auteur qui essaye de protéger les intérêts des grands acteurs du passé, contre le futur.

Clairement, les industries européennes de l’édition, du cinéma et de la musique ont décidé qu’influencer le commissaire Oettinger pour orienter la rédaction d’un texte de loi est plus facile et plus lucratif que de s’adapter au progrès et de participer à une concurrence équitable

Si nous laissons le lobbying, le protectionnisme et la vision à court terme gagner, les internautes et les industries du net de l’Union européenne en subiront les dommages collatéraux pour les décennies à venir.

Commissaire @GOettingerEU, écoutez-vous ? Ne faites pas de la réforme du droit d’auteur un second ACTA ! Tweet this!

Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.

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